Kim Un-su au Centre Culturel Coréen de Bruxelles le 3 décembre 2025

Kim Un-su est né en 1972 dans la grande ville portuaire de Busan. Il est issu d’une famille modeste qui y est installée depuis plusieurs générations.

Il étudie et suit un master en littérature coréenne à l’Université Kyung Hee University.

Il fait ses débuts en littérature en 2002 avec la nouvelle “Easy Writing Lessons”, puis remporte en 2003 le concours pour nouveaux auteurs du journal Dong-A Ilbo avec “Breaking Up with Friday”.

Son premier roman, “Le Placard” (2006), lui vaut en 2006, le prestigieux Prix du roman de l’éditeur Munhakdongne.

Ses œuvres sont souvent peuplées de personnages solitaires. Pour Kim, la solitude est une essence de la nature humaine.

J’ai eu le privilège d’assister à la soirée rencontre et dédicace organisée le 3 novembre par le Centre Culturel Coréen de Bruxelles dans le cadre des soirées K-littérature et animée par la modératrice Kim Yu-jin.

Il a chaleureusement partagé avec nous sa passion de l’écriture, sa relation avec les personnages et les œuvres qu’il crée.

Voici ce qu’il nous a confié lors de cette soirée exceptionnelle

Qu’est-ce qui vous a amené à vous lancer dans l’écriture ?

La passion de lire et écrire des romans m’est venue quand j’avais seize ans. Je vivais dans un ghetto très délabré et pauvre à Busan, en Corée, et c’est là que j’ai rencontré l’écriture pour la première fois — à travers l’utilisation d’un stylo. Quand j’ai utilisé un stylo pour la première fois, j’étais incapable d’exprimer pleinement ce que je ressentais sur le papier. Mais à ce moment-là, chaque mot que j’écrivais semblait important. Je me souviens très clairement de ce premier moment : il y a eu un silence qui est tombé sur moi, et aussi un sentiment d’exaltation. C’était presque comme si je pensais : « Que m’arrive-t-il ? » Même maintenant, alors que je vous parle, je me souviens du stylo à encre argentée que j’ai utilisé — il était de la marque Parker. Je me souviens juste de ce ressenti, du son, et de la façon dont le stylo touchait le papier. Pour moi, ce moment était TOUT en ce qui concerne l’écriture. À cette époque, je ne connaissais vraiment rien aux romans, à la poésie ou à la littérature, et cela n’avait aucune importance pour moi. Ce qui était vraiment important, c’était l’acte d’écrire en lui-même, avec ce stylo. Après avoir quitté le lycée, je ne suis pas allé directement à l’université parce que ma famille n’avait pas les moyens de me soutenir. Alors j’ai travaillé dans une usine et sur des chantiers. Mais même après ce premier moment d’écriture avec le stylo, j’ai continué à écrire dès que je le pouvais — pendant les cours ou dans mon temps libre. Cet acte d’écrire régulièrement a vraiment été important dans la construction de ce que je suis aujourd’hui. À cette époque, nous n’avions pas de téléphones portables, ni de tablettes, ni de réseaux sociaux, donc pour moi, écrire était une manière d’occuper mon temps. Je ne suis pas en train de décrire une expérience exceptionnelle. Ce dont je parle vraiment, c’est de l’essence, de la base de l’écriture elle-même. Et je pense que cela s’applique à n’importe quel domaine. Pour moi, l’acte d’écrire continuellement, et la persistance que cela demande, m’a aidé à trouver mon propre rythme, ma propre couleur, et ma propre langue. Grâce à cette pratique continue, j’ai découvert ma propre vibration. Trouver cette vibration signifiait que je méritais vraiment d’être écrivain selon mes propres termes. D’une certaine manière, trouver ma propre vibration, c’était comme trouver ma place dans l’univers. Plus tard, je suis allé à l’université pour étudier la littérature. Rencontrer des professeurs et d’autres écrivains était la continuité de ce que j’avais commencé lorsque j’ai commencé à écrire. Je ne crois pas qu’il y ait un génie particulier ou un talent en jeu. Ce qui compte, c’est l’acte sans fin d’écrire en lui-même — une découverte continue de soi. Mon “top secret”, je dirais, c’est que dès que vous vous réveillez, vous devez utiliser votre conscience la plus élevée, votre fréquence la plus élevée, et la mettre dans l’acte que vous voulez poursuivre le plus.

Il n’y a pas de rupture, pas d’arrêt, pas d’hésitation. Vous ne pouvez pas arrêter d’écrire. Vous pouvez maudire, louer, argumenter, écrire de la poésie, ou même écrire des absurdités — mais vous ne pouvez pas arrêter.
Un jour, quand vous trouverez votre propre vibration, votre couleur et votre langue, c’est alors que vous serez prêt à être écrivain. C’est un processus de découverte vraiment amusant.
En méditation, on appelle cela dhyāna (ou état de concentration [N.D.A.]) — c’est presque comme atteindre cet état.

Cela amène la prochaine question : la construction des personnages. Comment construisez-vous vos personnages ? Projetez-vous une partie de vous, vos souvenirs, vos émotions, et vos complexités intérieures — dans vos protagonistes ou vos autres personnages ?

Ce que je décrivais plus tôt — ce genre d’écriture, c’est de l’écriture libre, une libération, une écriture de liberté. C’est important pour trouver vos appuis. Mais il y a aussi le premier seuil, la première porte que vous devez ouvrir — presque une porte secrète.
Le deuxième type d’écriture est plus profond : vous immerger totalement dans l’histoire. Ce que mon professeur m’a appris, c’est que vous ne faites pas que vivre à travers l’histoire — vous êtes en train de l’écrire maintenant.
Au début, j’étais confus et frustré parce que je ne comprenais pas vraiment ce que cela signifiait de vivre le roman.
J’ai commencé à écrire à seize ans, et même quand j’ai atteint trente et un ans, je n’avais toujours pas compris ce secret.
J’ai écrit beaucoup de romans pendant cette période.
Et ces romans que j’ai écrits à cette époque — mon professeur, ma femme et moi sommes tous d’accord — étaient de faux romans.

Avez-vous déjà envisagé de publier ces romans ?

Ce n’est pas que j’essayais intentionnellement d’écrire de grands romans ; ce n’était pas calculé. C’était simplement tout ce que je savais faire, parce que j’avais un malentendu fondamental sur l’écriture. Je l’abordais comme de l’architecture, alors qu’en réalité, l’écriture tient davantage de l’agriculture.
Je dessinais des plans, je comprenais tout, je montais les murs, je posais un toit — et je pensais que le roman était terminé. Mais écrire, c’est plutôt planter une graine et attendre.

Quand je regarde ma propre écriture, je me retrouve parfois complètement immergé, comme aspiré dans un autre monde — presque comme entrer dans un rêve. Dans cet état, ma propre réalité devient lointaine. Vous êtes absorbé ; les personnages courent, aiment, détestent, pleurent, jouent. Et je réalise que c’est cela, la vie dont je parle dans l’écriture.

Pour moi, l’écriture « fausse » est celle où l’auteur apparaît comme un dieu, créant des typhons, des tempêtes, déplaçant les personnages comme des poupées. Ce sont des romans qui ne devraient pas être publiés.
Dans les vrais romans, les personnages n’écoutent pas l’écrivain. Ils suivent leur propre ordre. En ce sens, l’écrivain est un agent des personnages plutôt qu’un dieu. Je ne fais qu’observer ce qui se passe, presque comme si je regardais mon propre rêve.
« Le Placard » est un roman personnel où je me suis vraiment senti aspiré dans l’histoire. Les autres, avant celui-ci, sont tous à la poubelle.

Le Placard - Publié dans une version française par les Editions Matin Calme

Vous parliez d’atteindre ce niveau d’émergence. Vous avez comparé la fiction au jardinage : un processus naturel. Mais pour entrer dans cet état, la réalité nous distrait sans cesse.
Même quand nous voulons nous immerger, beaucoup de choses interfèrent. Alors comment ai-je terminé ce roman ? Avez-vous dû réserver un temps spécifique ? Combien de jours cela a-t-il pris ? Était-ce laborieux ?

Depuis dix ans, j’ai une routine stricte : je me lève à trois heures du matin et j’écris jusqu’à midi — neuf heures d’écriture. Ensuite, je me repose jusqu’à quinze heures.
À ce rythme, il me faut environ un an pour terminer un roman. Puis, quand je le montre à ma femme ou à mes amis, je finis souvent par le jeter. Ma femme et moi nous disputons rarement, mais c’est l’une des occasions où cela arrive.
S’immerger totalement est difficile, encore plus lorsqu’il y a d’autres personnes impliquées.

Je veux parler ici du roman « Sang Chaud », qui a été adapté en film. Une version courte avait été sérialisée avant la sortie du roman, et mon ami éditeur avait été impressionné. « C’est le seul livre où j’ai vécu une immersion véritablement « vivante ». Pendant que je l’écrivais, j’ai même envisagé si je devais mettre fin à ma vie, tant l’expérience était intense. »
Après ce roman, j’en ai écrit d’autres, mais je n’ai jamais revécu une telle immersion. Beaucoup d’écrivains ressentent cette peur : vivre une fois ce moment, puis ne plus jamais pouvoir y retourner.

Avec d’autres écrivains, nous disons souvent que la première immersion est parfois facile, puis soudain impossible à retrouver. Il n’y a pas de méthode, pas de raison — on est impuissant.
Dans cet état immersif — presque une forme de « méthode acting » de l’écriture — j’ai écrit « Le Placard » en dix-sept jours, alors que d’autres « déchets » peuvent me prendre un an.
Quand on est encore dans cette phase, tout ce qu’on écrit semble de l’évidence de déchet. Parfois, un écrivain s’arrête sans raison.

J’ai toujours voulu parler de pourquoi nous lisons et écrivons. C’est pour cela que j’ai pris l’avion vingt heures pour venir ici : pour parler de lecture et d’écriture.
Lire de la fiction n’a rien à voir avec la morale ou les leçons. Si c’est cela que vous cherchez, lisez des livres de développement personnel.
Nous lisons des romans pour nous transformer : devenir un autre être, vivre dans un autre corps — mais aussi, paradoxalement, pour vivre comme nous-mêmes.

En bouddhisme, on parle du vide et de l’absence de soi. Dans un roman, j’explore ces identités multiples, ces vies infinies dans un espace limité. À travers les personnages, leurs répétitions, leurs entêtements, quelque chose se révèle.
Ce qui m’attire le plus dans le bouddhisme, c’est cette idée de réincarnation, de cycles, de vies répétées.
Au fond, c’est une manière de lire : quand vous lisez avec conscience, vous vivez des vies différentes — roi, mendiant, prostituée. Vous traversez des époques et, sans vous en rendre compte, entrez dans le monde de l’écrivain.
Écriture et lecture partagent cette qualité : dans un espace limité, quelque chose devient infini.

Pour mon prochain livre, qui sortira l’année prochaine, j’ai pensé à l’histoire pendant neuf ans. J’ai même passé six mois sur des bateaux cargos et de pêche pour m’immerger dans le personnage.
Une nuit froide, une bière à la main, assis sur un sofa, j’ai eu une minute et demie d’immersion totale. Une minute cinquante — mais suffisante pour finir d’écrire.
Un autre roman, « Sang chaud » m’est venu pendant que je recyclais des déchets. Un bref instant a suffi, et je l’ai eu.
Pour moi, c’est comme manger une pomme : pas besoin de cent pages pour décrire le goût ; il suffit d’un moment pour le comprendre.
Je remercie les nuits et les bières belges pour cela.

Sang Chaud - Publié dans une version française par les Editions Matin Calme

Place aux questions du public

Vous parlez souvent de déchets lorsqu’il s’agit de certains de vos romans ou dans vos romans ; pourquoi ? Rires

Ceci est une question de haut niveau sur les déchets, donc je vais donner une réponse précise. Il y a la réalité, et puis il y a le monde que nous construisons — la manière dont nous percevons la réalité.
L’écriture est similaire. Elle est basée sur la réalité vivante, l’expérience réelle de l’écrivain. Vous devez avoir goûté la pomme vous-même pour pouvoir l’écrire de manière authentique. C’est ce qui distingue ce que j’appelle le déchet de ce que j’appelle une bonne écriture : est-ce que l’expérience vivante est vraiment présente ?
Les lecteurs peuvent sentir immédiatement si l’écrivain comprend vraiment le personnage ou la situation. Le plus grand défi pour beaucoup d’écrivains est de ne pas se laisser piéger dans leur propre monde mental — dans un monde de pensée qu’ils prennent à tort pour la réalité. Il y a une vraie différence entre lire sur le goût d’une pomme et vraiment goûter une pomme.


Il y a des écrivains comme Proust ou Hwang qui sont connus pour leurs romans, mais qui ont aussi écrit des poèmes, et je suis curieux de savoir si vous avez écrit des poèmes à côté. Si vous en écrivez, est-ce quelque chose avec lequel vous jouez — l’idée de peut-être publier votre propre poésie — ou êtes-vous seulement intéressé par l’écriture de romans ?


J’ai commencé avec la poésie. En fait, j’ai écrit de la poésie pendant environ dix ans. Mais ce que j’ai fini par comprendre — ce que j’ai découvert — c’est que je n’ai vraiment pas de talent en tant que poète. Vous devez vraiment avoir un haut niveau de capacité poétique pour pouvoir écrire de la poésie. C’est véritablement le joyau de la littérature, et c’est vraiment pour des gens avec des fréquences plus élevées que moi.
Je pense que vous êtes plus qu’élevé — vous êtes hypo.
Quand plusieurs écrivains sont dans une pièce, la conversation est tellement bruyante. Je veux dire, tout le monde parle en même temps, ils ont tellement de choses à dire. Et quand vous avez des poètes ensemble, même une vingtaine de poètes dans une pièce, c’est silencieux.
Je ne pense pas que je puisse faire cela.


Les Planificateurs - Publié dans une version française par les Editions Points


Ceci pourrait être illégal à demander à un écrivain, mais je me demandais si, parmi tous les livres que vous avez écrits, il y en a un qui a un place spéciale par rapport aux autres.

Donc juste pour que vous sachiez, quand je publie un livre, je ne le relis presque jamais.
Par exemple, il y a certains livres que j’ai écrits il y a vingt ans où parfois des lecteurs laissent des commentaires et disent des choses comme : « Pourquoi avez-vous écrit cela ? Pourquoi avez-vous tué le chien ? Qu’est-ce qui se passe ici ? » Et je n’ai rien d’autre à dire sauf : j’étais juste trop jeune à l’époque.
Je pense que parmi tous les écrivains, il y en a probablement très, très peu qui aiment vraiment leurs propres livres ou qui aiment vraiment leur propre écriture, qui y retournent et la relisent encore et encore.
Je pense que lorsque vous écrivez, ou lorsque vous retournez à votre propre texte, vous ressentez probablement que c’est l’échec de votre vie d’une certaine manière, ou que votre travail est un crime contre l’humanité.


Faites vous confiance aux traducteurs pour refléter les émotions, la tension, personnalité que vous avez insufflées dans vos livres ?

Je pense qu’entre moi, l’écrivain et le lecteur, il y a une frontière claire. Quand je donne le texte au lecteur, il passe par-dessus cette clôture. Et c’est mieux ainsi.
Pour moi, le traducteur est quelqu’un qui entre en conversation avec le texte, presque un récipient, quelqu’un qui s’efface dans l’acte de traduire. Il trouve une signification profonde, créative, qui peut même différer de ce que j’avais prévu — et c’est ce que je recherche chez un traducteur.

Ce que je veux pour les lecteurs, c’est que chacun vive une expérience différente. J’espère que mon écriture offre cet espace.

Quand j’écris une histoire, si elle est adaptée en film, je ne contrôle pas ce que le réalisateur en fera. Le scénariste changera quelque chose pour en faire un scénario, le réalisateur le transformera encore, puis les acteurs y mettront leur interprétation. À travers ces multiples transformations — presque divines — l’histoire s’étend. C’est le droit de chacun : lecteurs, scénaristes, réalisateurs, acteurs, de changer l’œuvre et d’en faire la leur.

Ainsi, il n’est pas vraiment possible de garantir la préservation des émotions originales ou de la trame. J’écris l’histoire, je la relâche dans le monde. Le lecteur la reçoit, la transforme, devient le réalisateur de sa propre expérience. Elle devient son œuvre.

C’est sur ces mots que s’est conclue cette très enrichissante rencontre.

On retiendra la comparaison entre la renaissance infinie dans la philosophie bouddhiste et la plongée dans un roman et l’assimilation aux personnages. Comme la réincarnation, chaque personnage dont on endosse l’identité pour vivre le roman, s’apparente à une nouvelle vie qui se renouvelle « à l’infini ».

On adore le livre offert et avec une dédicace personnalisée pour chaque invité sur base de ce que le prénom lui inspire.

Conclusion : Kim Un-su est brillant, profond, sincère, généreux et a un humour imprévisible.

Bien que ses romans abordent souvent le sombre côté des bas-fonds, il nous démontre l’humanité et la loyauté qui se dissimulent derrière une carapace de violence.

Primé et adapté au cinéma, il est indiscutablement l’auteur phare de la littérature coréenne contemporaine.

Séance photo - Kim Un-su et moi

Prénom pour personnaliser la dédicace

Dédicace de Kim Un-su “Restez aussi brillante que vous l'avez été aujourd'hui”

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