Témoignage de Claudia Grooten - fille de volontaire belge parti combattre pendant la Guerre de Corée

Entretien avec Claudia Grooten, fille du vétéran belge Martinus Grooten, parti comme volontaire pendant la guerre de Corée.

Soixante-dix ans après la fin de la guerre de Corée, la mémoire de ceux qui y ont combattu continue de résonner au-delà des frontières. Le mois dernier, un hommage solennel a été rendu à Woluwe-Saint-Pierre aux vétérans belges qui ont pris part à ce conflit souvent qualifié de « guerre oubliée », mais dont les cicatrices et les liens tissés demeurent profonds (l'article sur l'hommage ici).

C’est dans ce contexte que je partage avec vous, aujourd’hui, le témoignage de Claudia Grooten, recueilli à la suite de cette cérémonie commémorative.
Sa langue maternelle étant le néerlandais, une traduction fidèle a été réalisée afin de préserver l’authenticité et la justesse de ses propos.

Ses paroles ont été retranscrites mot à mot, dans le respect de son expression et de sa sensibilité.

Les origines de l'engagement de vétéran

Pouvez-vous me dire quel lien de parenté vous unit au vétéran et ce que vous savez de son parcours ?

Le vétéran est mon père. Il a servi en Corée du 3 janvier 1953 au 4 décembre 1953 comme soldat au sein de la compagnie C.
Il effectuait des patrouilles et des missions de reconnaissance avec ses camarades. Il leur arrivait d’être pris sous le feu ennemi, et un jour, il a soudain perdu la trace de ses compagnons — ils n’ont jamais été retrouvés.
Il leur fallait parfois rester immobiles pendant plusieurs jours, tout en transmettant leurs observations par radio à leur poste de commandement.
Il a vu des choses qu’il n’oubliera jamais, des scènes de combat gravées à jamais dans sa mémoire. Il est rentré chez lui le bras dans le plâtre.

                                                                                                                                               

                                                                                                                                      Grooten Martinus pendant la guerre de Corée - 1953

Décision de partir

Que vous a-t-il raconté au sujet des circonstances qui l’ont poussé à partir en Corée ?

Il n’en parlait pratiquement pas auparavant, mais ces dernières années seulement, il a commencé à se confier. Il a aujourd’hui 94 ans.
Il était jeune, impulsif, et après une dispute avec sa mère, il a signé dans un accès de colère pour partir comme volontaire en Corée.
Leur devise, parmi les vétérans belges, était : « Belgians can do too ! »

Selon vous, quelles ont été ses principales motivations pour s’engager dans un conflit aussi lointain ?

Il était militaire dans l’armée belge et avait commis quelques erreurs qui lui ont valu de perdre ses galons. Il pensait qu’en partant comme volontaire en Corée, il pourrait regagner ses étoiles au sein de l’armée belge.

Mémoires

Avez-vous conservé des lettres, objets ou photos témoignant de son séjour en Corée ?

Oui, nous avons beaucoup de photos de son passage en Corée, de lui et de ses camarades. Il existe aussi probablement des lettres, mais il les garde encore en sa possession.

Vivre avec les souvenirs de guerre

Quels sentiments ou images vous viennent à l’esprit quand vous pensez à cette période de sa vie ?

J’ai beaucoup d’admiration pour tous les vétérans que je connais. J’ai d’ailleurs eu l’honneur de devenir présidente de leur association.
Leurs récits, comme ceux de mon père, sont toujours émouvants.
Il reste encore plusieurs vétérans en vie, et j’ai la chance d’en accueillir une vingtaine lors de nos activités, tant qu’ils peuvent encore se déplacer.
Je pense que, pour eux, cette période reste sombre : beaucoup de camarades sont tombés ou ont été portés disparus. Ils ont vu tant de morts et de blessés... Cela a dû être une période terrible, dont ils préfèrent souvent ne pas parler.

Des liens d'amitié et de fraternité avec les soldats coréens

Comment décrivait-il ses relations avec les soldats coréens et la population locale ?

Les Belges étaient très appréciés par la population coréenne.
Ils ont formé et épaulé les soldats coréens, et ceux-ci les ont également beaucoup aidés sur le terrain.
De véritables amitiés sont nées de cette fraternité d'arme, des liens qui ont duré toute une vie.

A-t-il évoqué quelque chose de particulier au sujet de la culture, du pays ou des gens qu’il y a rencontrés ?

Il disait :

"La Corée est un pays magnifique, peuplé de gens profondément reconnaissants pour ce que les volontaires belges ont fait pour eux.
Nous tenons à préserver ce lien, et ce pays restera toujours dans nos cœurs.
Nous, les vétérans de Corée, sommes fiers d’avoir contribué, à notre manière, à la construction de la paix mondiale.
Nous ne doutons pas que les générations futures continueront, par respect pour le passé, à bâtir un monde meilleur"


Les Belges, surnommés les bonnets bruns, étaient appelés « Pirogi ».
Partout où ils allaient ensuite, ils étaient accueillis par les cris joyeux :
« Pirogi manse ! » (피로기 만세) — Longue vie aux Belges, dix mille ans !

                                                                                                                                       

                                                                                                                       

                                                                                                                          Grooten Martinus et des membres de la compagnie C en Corée - 1953

Un retour en Belgique marqué par le silence

Comment, selon vous, a-t-il vécu son retour en Belgique après cette expérience ?

Ce retour s’est fait dans la plus grande sobriété et le plus grand silence.
En Belgique, personne ou presque ne connaissait la Corée à cette époque.
Les militaires ont ressenti cela comme une profonde déception : aucune reconnaissance, même pas de la part du roi des Belges.
Ce n’est que ces dernières années que l’on commence à reconnaître et à comprendre ce qu’ils ont accompli là-bas.

Une fraternité qui perdure au-delà de la guerre

A-t-il gardé contact après la guerre avec la Corée du Sud ou avec ses anciens camarades ?

Oui. Une association fraternelle, la FRCVC (Fraternelle Royale du Corps de Volontaires pour la Corée), a été fondée par les camarades pour entretenir leur amitié et commémorer ceux qui ne sont jamais revenus.
Mon père est retourné trois fois en Corée du Sud avec d’autres vétérans, pour revoir les lieux tant d’années après et constater les changements.
Ils ont aussi collaboré avec les ambassades de Belgique et de Corée, à Séoul et à Bruxelles, et ont gardé des amitiés profondes avec des Coréens rencontrés là-bas.

Pour ma part, je dois avouer que je suis tombée amoureuse de ce pays. Je l’ai déjà visité trois fois, et je suis toujours touchée par le respect de son peuple.
Même ma fille, encore jeune, en est tombée amoureuse à son tour.

Transmission de mémoire aux jeunes générations

Comment pensez-vous que les jeunes générations devraient se souvenir de cet engagement ?


Les souvenirs de la guerre de Corée se sont estompés chez les plus âgés, et la plupart des jeunes l’ont déjà oubliée.
Pourtant, il faut se rappeler que des milliers de jeunes hommes — dont 106 Belges — sont tombés sur les collines et dans les rizières de la péninsule coréenne.
Ils ont protégé le monde libre d’une troisième guerre mondiale dévastatrice.
C’est une mémoire qu’il faut entretenir pour qu’aucune nouvelle guerre n’éclate.
On l’appelle la guerre oubliée, mais elle ne doit jamais être oubliée.

Message au peuple coréen

Si vous pouviez adresser un message au peuple coréen au nom de votre père, que diriez-vous ?


Les souvenirs de la guerre de Corée se sont effacés pour certains, mais il ne faut pas oublier le sacrifice des milliers de jeunes hommes — parmi eux 106 Belges — tombés sur le sol coréen pour préserver la paix mondiale.
Aujourd’hui, la Corée est un pays prospère, technologiquement en avance sur nous, et il faut préserver cet élan.
Vous êtes un peuple admirable et d’un grand respect.
Nous vous portons une profonde estime et beaucoup d’affection.
Pour nous, c’est toujours un immense honneur de pouvoir visiter votre beau pays.

Je concluerai en disant que le passé peut laisser des marques d’un conflit douloureux; il peut aussi être l’empreinte durable d’une coopération humaine qui a contribué à construire la paix.

Aujourd’hui, cette paix n’est jamais acquise, mais elle demeure un objectif commun vers lequel avancer ensemble.

En partageant ce témoignage et en le rendant accessible aux plus jeunes, renforçons cette continuité : celle d’un souvenir qui éclaire l’avenir et d’un espoir qui s’appuie sur les gestes de ceux qui ont servi loin de chez eux.

P.S. : les archives photographiques ont été gracieusement fournies par Madame Grooten

Article de Naoual Serouane publié sur Honorary.rporters de Korea.net le 30-10-2025